J.O. 299 du 24 décembre 2002
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Texte paru au JORF/LD page 21507
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Mémoire complémentaire en date du 10 décembre 2002 à la saisine du 3 décembre 2002 présentée par plus de soixante députés et visée dans la décision n° 2002-463 DC
NOR : CSCL0206164X
Il a été créé par cet article une délégation parlementaire dénommée Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé dont la mission est d'informer le Parlement des conséquences des choix de santé publique, afin d'éclairer ses décisions.
Au-delà de l'aspect toujours intéressant des initiatives tendant à affirmer la nécessité d'informer au mieux la représentation nationale sur les sujets relevant de sa compétence, il apparaît que cet office enlève aux commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat l'une de leurs missions et non des moindres.
Par ailleurs, il reste que la création de ce nouvel office est étrangère au champ des lois de financement de la sécurité sociale. Sont ainsi méconnus les articles 34 et 47-1 de la Constitution, et ensemble l'article LO 111 (3, III) du code de la sécurité sociale.
Nul ne conteste, en effet, que cette nouvelle délégation n'a qu'un lien distant avec l'amélioration du contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale au sens de la loi organique définissant leur champ d'application.
On ne saurait mieux dire, à cet égard, que le rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat, M. Alain Vasselle, indiquant au titre d'un raisonnement implacable : « Aussi, pour ne pas encourir la censure du Conseil constitutionnel, les auteurs de l'amendement ont-ils dû insister sur la mission de contrôle de l'application des lois de financement qui serait dévolue à l'office » (voir Sénat, rapport no 58, p. 16 et 17), prenant soin de souligner, en outre, que « la nature du nouvel office apparaît dès lors ambiguë et il peut être fait grief au dispositif de confondre non pas tant l'évaluation et le contrôle, notion souvent proche dans la pratique, que plus précisément l'évaluation prospective des choix et le contrôle de l'application d'une politique » (rapport précité).
Concluant ces développements en faisant valoir qu'il « n'est pas douteux que le choix de débattre de cette question à l'occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale n'est pas un élément de clarification » (ibid.), M. le rapporteur indiquait que la commission proposait la suppression de cet article .
Le Sénat a suivi sa commission et supprimé l'article . Pourtant, la commission mixte paritaire a fait le choix inverse de rétablir cette disposition nonobstant le vice d'inconstitutionnalité l'entachant et connu de tous.
Toutefois, l'article , tel que rétabli par la commission mixte paritaire, ne comprend plus la précaution rédactionnelle prise par l'Assemblée nationale en première lecture, mais qui ne trompait personne, constituée par la mention : « notamment dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale ». Dès lors, l'article en cause ne peut même plus se revendiquer d'un rattachement rédactionnel, même fictif, à l'amélioration du contrôle des lois de financement de la sécurité sociale par le Parlement. De façon pour le moins paradoxale, la commission mixte paritaire a donc opté pour rétablir une rédaction, sachant qu'elle serait contraire à la Constitution.
La version finalement retenue de l'article critiqué met en pleine lumière constitutionnelle sa nature étrangère aux articles 34, 47 (1, C) et LO 111 (3, III) du code de la sécurité sociale.
Cette rédaction définitive ne pourra échapper à la censure.
II. - Sur l'article 59
Cet article prévoit que la part de prise en charge par la Caisse nationale des allocations familiales (ci-après : CNAF) des dépenses mentionnées au 5° de l'article L. 223-1 du code de la sécurité sociale est égale à une fraction fixée à 60 % pour l'année 2003. Il s'agit donc de porter à 60 % le pourcentage des majorations de pension pour enfants remboursées par la CNAF au FSV, soit le franchissement d'une étape supplémentaire par rapport au plan de marche annoncé lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. Il en résulte que pour l'année 2003, la branche famille va devoir assumer, à ce titre, un financement supplémentaire de 945 millions d'euros, soit un transfert total de 1,89 milliard d'euros.
Une telle disposition ne peut échapper à la censure dès lors qu'elle méconnaît, d'une part, les dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 et, d'autre part, le principe d'égalité entre les familles.
En premier lieu, il est acquis que l'article critiqué méconnaît les dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946 aux termes desquels : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », et « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
Certes, vous avez eu l'occasion de juger que la prise en charge ainsi organisée n'était pas, en soi, contraire à la Constitution (décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000, considérants 21 à 28, Rec. p. 190). Vous avez cependant, dès l'année suivante, précisé que si l'existence des branches de la sécurité sociale est reconnue par l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale et si l'autonomie financière des branches ne constitue pas, par elle-même, un principe de valeur constitutionnelle, le législateur ne saurait, toutefois, décider de transferts de ressources et de charges entre branches tels qu'ils compromettraient manifestement la réalisation de leurs objectifs et remettraient ainsi en cause tant l'existence des branches que les exigences constitutionnelles qui s'attachent à l'exercice de leurs missions (décision no 2001-453 DC du 18 décembre 2001, considérants 61 à 65).
Autrement dit, il importe que le législateur ne décide pas de transferts d'une ampleur telle que serait compromise la réalisation des objectifs des branches, entraînant dès lors une atteinte aux dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946 (cf. sur ce point et de façon très explicite, le commentaire de la décision du 18 décembre 2001 paru dans Les Cahiers du Conseil constitutionnel, no 12).
Au cas présent, il est peu de dire que l'ampleur du transfert ainsi décidé est manifestement excessif et ne pourra que menacer l'équilibre de gestion des branches concernées, et, partant de là, l'accomplissement de leur mission. Le législateur n'aura donc pas tenu compte des limites constitutionnelles que la jurisprudence la plus récente avait ainsi énoncées.
La commission des affaires sociales du Sénat avait pris soin, à cet égard, de pointer la difficulté majeure qui résulterait de l'entrée en vigueur de cette disposition. Dans son rapport sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, M. le rapporteur relève qu'aujourd'hui, « la branche famille prend donc en charge le financement d'une partie de la majoration de pension pour enfants, prestation relevant initialement de l'assurance vieillesse puis prise en charge, au titre de la solidarité, par la FSV.
« Mais, a contrario, pour des raisons anecdotiques liées à la nécessité de bouclages financiers conjoncturels, l'allocation de parent isolé (API), prestation familiale historique, est inscrite au budget général.
« Enfin, le FSV est mis à contribution pour apurer la dette de l'Etat à l'égard des régimes complémentaires de retraite, mission tout à fait étrangère à sa raison d'être et à sa place au sein des lois de financement qui ne traitent que des régimes de base.
« En résumé, au terme de trois ans de manipulation des flux financiers, l'Etat finance une prestation familiale, la CNAF finance une prestation de solidarité vieillesse et le FSV prend en charge la dette de l'Etat.
« Aussi, votre commission a-t-elle jugé urgent de permettre un retour au bon sens dans la détermination des missions de chacun. » (Rapport no 58, p. 165 et 166.)
Proposant une modification substantielle de l'article , le rapporteur notait que ce faisant : « la branche famille serait ainsi garantie contre une nouvelle progression de sa contribution au titre des majorations de pension pour enfants, progression au demeurant irréaliste d'un point de vue financier et fragile d'un point de vue constitutionnel » (ibid.).
Indépendamment des appréciations politiques portées sur les politiques publiques conduites dans les années précédentes, il s'avère que la commission des affaires sociales du Sénat a clairement souligné que l'article 41 aboutissait, eu égard à l'ampleur du transfert opéré et venant s'ajouter à d'autres, à mettre manifestement en cause la poursuite des missions des branches. On passera, à cet instant, sur le grief que l'on pourrait relever à propos de l'intelligibilité de la loi, y compris pour ses destinataires principaux. On retiendra, en revanche, que le rejet de l'amendement substantiel proposé par le Sénat confirme, a fortiori, la méconnaissance des exigences constitutionnelles portées par le Préambule de 1946, affectant en conséquence la disposition querellée d'un vice rédhibitoire.
Vice d'autant plus certain qu'il est doublé d'une violation patente du principe d'égalité.
En second lieu, il s'avère que la fragilité constitutionnelle du dispositif soulignée par la commission des affaires sociales du Sénat résulte également d'une méconnaissance manifeste des limites posées par votre jurisprudence.
Ainsi, à propos de l'article 60 de la loi de financement pour 2002 qui faisait passer la prise en charge de 15 à 30 %, vous avez jugé « qu'eu égard au montant limité du transfert de charges critiqué, l'article 60 ne porte pas atteinte à l'égalité entre les familles selon qu'elles élèvent ou qu'elles l'ont fait dans le passé... » (décision du 18 décembre 2001, précitée, considérant 65).
Un commentateur particulièrement autorisé pouvait alors relever que le Conseil avait, dans ces conditions, implicitement admis le caractère opérant du grief, avant d'ajouter : « mais, en l'espèce (passage de 15 % à 30 % de la prise en charge), le seuil n'est pas dépassé » (voir Les Cahiers du Conseil constitutionnel, no 12, commentaire de la décision du 18 décembre 2001).
Au cas présent, force est de constater que le seuil a été largement dépassé, passant de 30 % à 60 %. C'est, à l'évidence, le sens de l'analyse du Sénat, et, pour tout dire, le bon sens. Il est certain que l'article critiqué a franchi la limite constitutionnellement établie au titre du principe d'égalité et que la jurisprudence avait pris soin d'évoquer pour tenter de pallier à tout excès futur.
L'excès étant cependant arrivé, le temps de la censure est venu.
Par ces motifs et tous autres à déduire ou ajouter, même d'office, les auteurs de la saisine persistent de plus fort dans leurs demandes.